Voici la critique du livre sur la gamification (ou ludification) de Yu-Kai Chou : “Actionable Gamification”.
L’auteur
Yu-Kai Chou est un auteur taïwano-américain qui travaille depuis une quinzaine d’années sur le sujet de la gamification. Il a aidé de nombreuses entreprises (Lego, ebay, Volkswagen, …) à rendre l’expérience de leurs clients ou de leurs employés plus ludiques.
Le contenu
Dans son livre, Yu-Kai Chou nous présente les avantages et bénéfices d’une gamification bien réalisée, mais aussi ses limites. L’auteur a développé un modèle qui permet d’appréhender facilement différents leviers motivationnels sur lesquels on peut s’appuyer pour rendre n’importe quel service ou expérience plus ludique. Tout ceci ayant pour objectif d’augmenter l’implication des utilisateurs et d’améliorer leur expérience au quotidien. Il a dénommé ce modèle “Octalysis” que je traduirai ici par “octalyse”.
Le livre est émaillé de nombreux exemples concrets et de techniques pratiques sur lesquelles s’appuyer. C’est ce qui rend la lecture de cet ouvrage de presque 500 pages plutôt aisée.
Présentation de la gamification et de ses limites
Dans les deux premiers chapitres du livre, Yu-Kai Chou passe en revue ce qui rend les jeux si addictifs et agréables, contrairement à d’autres tâches de notre quotidien. En analysant rapidement les mécaniques présentent dans les jeux vidéos, on se rend compte qu’il est possible de rendre des tâches à priori ennuyeuses agréables et intéressantes. Cela nécessite “simplement” de s’appuyer sur les bons leviers de la motivation humaine.
L’auteur souligne immédiatement que l’objectif de la gamification n’est pas de piéger les utilisateurs ou de vouloir rendre tout amusant en faisant disparaître le goût de l’effort. Bien sûr, la possibilité de piéger les utilisateurs existe, mais cela finit la plupart du temps par se retourner contre ceux qui sur la gamification de la sorte. Par ailleurs, n’importe quel joueur de jeux vidéo fait l’expérience de phases plus difficiles et laborieuses. Gamifier ne veut donc pas dire qu’on peut ou qu’on doit s’amuser en permanence. Au final, rendre une activité plus ludique permet surtout d’augmenter la motivation pour des tâches qui ont une réelle valeur ajoutée pour l’individu.
Aujourd’hui, lorsque la gamification est utilisée, cela s’arrête souvent aux points, badges et tableaux de scores. Or c’est une refonte complète qu’il faut opérer lorsqu’on cherche à gamifier une expérience. Il ne faut pas simplement appliquer des trucs ou des techniques, mais se demander ce qu’on veut que le joueur ressente. Dans la réalité, on procède souvent par étapes successives. En effet, repenser complètement un parcours client ou une expérience d’apprentissage peut nécessiter une remise en cause lourde et chronophage du système en place.
Les modèle de l’octalyse
Dans les chapitres suivants, Yu-Kai Chou approfondit le sujet de la gamification et présennte les 8 leviers motivationnels qui composent le modèle de l’octalyse, résumés ci-dessous.
“Beaucoup de gens trouvent que les enfants d’aujourd’hui ne veulent plus faire d’efforts. Les gens se plaignent du fait que les enfants ne font preuve d’aucune discipline, sont facilement distraits et abandonnent facilement quand il rencontrent des obstacles ou font face à des défis. Mais quand il s’agit de jouer à des jeux, ces mêmes enfants font preuve d’un goût de l’effort exceptionnel. Beaucoup d’entre eux se lèvent en cachette à 3 heures du matin, juste pour jouer à un jeu et faire gagner des niveaux à leur personnage virtuel. […] Ils veulent ce +5 en force et cette nouvelle compétence afin de battre un boss difficile. […] Ils font cela parce qu’ils perçoivent l’objectif global, la raison pour laquelle ils le font. Les enfants aiment ce sentiment d’accomplissement, ainsi que le fait d’utiliser leur créativité pour développer et optimiser certaines stratégies.”
(Actionable Gamification – p.15-16)
1. Sens épique et vocation.
C’est le premier levier du modèle de l’octalyse. Quand on active ce dernier, on motive les gens en les engageant dans quelque chose de “plus grand qu’eux”. Ce levier est souvent utilisé dans les jeux en proposant une cinématique d’introduction qui pose un décor épique. Il s’appuie sur des motivations altruistes et désintéressées. Il ne s’agit pas de désirs ou de plaisir individuel ici, mais plutôt de participer à quelque chose qui nous dépasse pour le bien du plus grand nombre.
2. Développement et accomplissement.
Ici, c’est la sensation de progrès, de développement, et le besoin d’atteindre des objectifs qui motive les gens. C’est ce type de motivation qui pousse à élaborer un plan de carrière, donne envie d’acquérir de nouvelles compétences et encourage à poursuivre le travail quand on constate à quel point on a progressé et grandi. La plupart des systèmes de points et de badges s’appuient sur ce levier. C’est en ajoutant des règles et des obstacles qu’un jeu devient amusant, sinon on irait droit au but sans difficultés. Ce sont les obstacles qui créent la sensation d’avoir accompli quelque chose.
3. Renforcement de la créativité et feedback.
Ici, c’est l’aspect créatif qu’on va solliciter, mais en permettant à l’utilisateur d’avoir un retour immédiat sur ce qu’il produit. Pour faire simple, il s’agit de donner une grande liberté à l’individu. Ainsi, il peut inventer des stratégies pour avancer dans l’expérience proposée. Il n’y a donc pas une seule bonne manière d’atteindre l’objectif, mais une multitude. Le tout dans un cadre bien construit qui permet de savoir rapidement si on progresse ou si on fait complètement fausse route. Ce levier est très puissant, mais aussi assez difficile à implémenter correctement.
Ce troisième ressort motivationnel permet d’éviter la lassitude ou l’épuisement dans une expérience gamifiée. En effet, si on peut continuer à trouver de nouvelles manières de progresser, cela permet de redécouvrir l’expérience sous un autre aspect. Une des raisons du succès de jeux comme Starcraft ou le poker repose entre autres sur le fait que les joueurs peuvent en permanence puiser dans leur créativité pour élaborer de nouvelles stratégies.
4. Propriété et possession.
Il s’agit ici d’une motivation guidée par le sentiment de possession. On a alors envie d’améliorer, de protéger, et d’obtenir plus de ce qu’on possède. C’est ce type de motivation qui nous pousse à collecter des timbres ou à amasser des richesses. Parfois, le simple fait de savoir qu’on a quelque chose suffit, même si on n’y a que rarement accès.
5. Influence sociale et connexion.
L’influence sociale est un fort levier motivationnel. Nos activités sont en effet directement guidées par ce que les autres personnes pensent, font ou disent. Le mentorat, la compétition, la jalousie/l’envie, sont quelques exemples de motivations sociales. Nous cherchons effectivement le plus souvent à nous conformer à une norme sociale (ou à nous positionner par rapport à celle-ci).
6. La rareté et l’impatience.
Le 6e levier est celui de la rareté et de l’impatience. Ce qui motive les comportements ici est le fait que ce qu’on souhaite obtenir n’est pas immédiatement accessible. On peut ainsi avoir envie de quelque chose parce que cette chose est particulièrement rare, peu importe son utilité ou sa valeur réelle. C’est la valeur perçue qui prime ici.
7. Imprévisibilité et curiosité.
Les activités qui sont incertaines et impliquent de la chance et du hasard peuvent être attractives. Nous sommes en effet plus impliqués dans les jeux quand nous avons une chance d’obtenir une récompense que quand on est sûr d’en obtenir une. L’attractivité de l’activité en question dépend bien entendu également du ratio risque/récompense.
8. Peur de la perte et évitement.
Ce type de motivation est plus négatif, puisqu’il consiste à éviter certains événements ou activités dont les conséquences seraient indésirables. Dans beaucoup de jeux on active ce levier via un nombre de “vies” limitées. Au quotidien, on retrouve ce mécanisme dans les bons de réductions expirant à une certaine date.
Ce levier est puissant à court terme, mais peut créer une aversion forte et définitive par la suite. Quand on gamifie une activité, il faut donc utiliser ce type de motivation avec parcimonie, à des moments essentiels. En cas d’excès, l’utilisation de ce levier a un réel effet “repoussoir”.
Le format
Ce livre est très riche et captivant car il s’appuie sur une structure qui permet de classer et d’identifier facilement les motivations dans le cadre de la gamification. Par ailleurs, Yu-Kai Chou passe en revue de nombreux exemples concrets qui permettent de bien comprendre les concepts abordés. L’analyse des mécanismes utilisés par Facebook, Farmville, Twitter ou d’autres entreprises et associations permet de réellement comprendre pourquoi la gamification fonctionne (ou échoue).
De plus, chaque chapitre propose des techniques de gamification que l’on peut directement mettre en œuvre. Enfin, plusieurs activités concrètes sont présentées à la fin de chaque partie du livre pour passer rapidement à l’action et tenter d’améliorer les choses pour le lecteur. Et ce autant dans le domaine professionnel que personnel.
On peut par contre reprocher au livre sa mise en page parfois bancale et le manque de synthèse sur certains sujets. Néanmoins, l’ensemble reste une lecture incontournable et agréable pour toute personne intéressée par la thématique de la gamification.
En conclusion
Quel que soit votre domaine d’expertise ou votre profession, le livre de Yu-Kai Chou reste une bonne lecture si vous souhaitez créer des expériences plus captivantes pour vos utilisateurs/clients/apprenants. On peut même appliquer cette approche à la vie d’une manière générale. Par exemple, la gamification peut être utile pour certaines activités qu’on n’arrive pas à mettre en place de manière durable. Enfin, ceux qui souhaitent mieux comprendre la motivation humaine en général seront également captivés par cet ouvrage.
Où trouver le livre?
Vous trouverez ce livre facilement en version kindle ou en version brochée. La version kindle reste la plus économique. Seul petit bémol, ce livre n’a pas été traduit en français.
Merci d’être passé(e) sur le site et d’avoir pris le temps de lire cet article ! J’espère que vous l’avez apprécié.
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