Trouver des activités qui nous font vibrer, qui nous procurent du plaisir et nous font nous sentir compétents, c’est essentiel. Ces passions sont au cœur de nos vies, contribuent à notre bonheur, et peuvent même se muer en activité professionnelle. Mais il n’est pas toujours évident d’identifier des activités passionnantes. Surtout que certaines d’entre elles deviennent parfois destructrices et déséquilibrent notre vie…
La recherche scientifique peut, là encore, nous aider à y voir plus clair. Après une vingtaine d’années d’étude du sujet, on sait désormais qu’il existe différents types de passions aux effets divers. On est même capable de les mesurer afin de mieux les intégrer à notre vie. Si vous souhaitez en savoir plus sur le sujet et évaluer les activités qui occupent une grande part de votre quotidien, je vous invite à lire les paragraphes suivants !
La recherche sur les passions
Au cours du XXe siècle, le sujet des passions a peu été étudié par les psychologues. Ce n’est qu’au début des années 2000 que des chercheurs québécois ont véritablement lancé des investigations poussées sur ce thème1. Avant cette période, le sujet avait plutôt été exploré au travers des phénomènes d’addiction et se concentrait principalement sur la dimension motivationnelle.
Comme toujours, étudier un phénomène commence par en définir les contours. Voici donc la définition des passions retenue par les scientifiques1,2 :
La passion peut être vue comme une forte attirance envers un objet, une activité, un concept ou une personne spécifique qu’un individu aime (ou apprécie fortement), valorise grandement, et dans le/laquelle il investit du temps et de l’énergie sur une base régulière. Cette passion finit par faire partie de l’identité de l’individu, par le définir3.
Une passion est donc quelque chose d’important, d’apprécié par l’individu et qui occupe un temps significatif dans son emploi du temps. Même si on pense spontanément à la passion comme le fait de s’adonner à une activité (ex : jouer du piano), cet investissement peut tout autant se diriger vers une personne (ex : le partenaire romantique) ou un objet (ex : une collection de cartes pokémon).
Par ailleurs, c’est l’aspect identitaire qui est central dans la notion de passion. Dès lors, lorsqu’on est passionné de guitare, on se définit comme guitariste, quand on réalise des triathlons, on se définit comme triathlète, et ainsi de suite.
Enfin, si l’investissement dans une passion est équilibré, l’individu se sentira compétent, autonome et connecté aux autres. C’est donc un vecteur d’épanouissement personnel très important.
Les caractéristiques d’une passion
Les passions ne sont pas réservées à quelques élus. En effet, plus de 500 études internationales2 montrent que les passions sont présentes à tous les âges, et concernent 75 à 85% de la population. Elles ne sont pas non plus innées, à l’instar des talents. Les passions se construisent au fil du développement de l’individu, et participent à son évolution tout au long de la vie. Enfin, sachez que les passions ne sont pas exclusives. On peut avoir différentes passions au cours d’une vie.
Pour être encore plus précis, on peut lister un certain nombre de caractéristiques que l’on retrouve systématiquement dans toute passion2 :
- La passion est toujours dirigée vers une activité spécifique. Ce n’est pas un trait de personnalité : une passion se déploie dans les interactions entre un individu et une activité/un objet/une personne.
- Il s’agit d’un amour durable pour une activité donnée.
- Une passion est toujours signifiante et hautement valorisée par l’individu.
- Elle relève plus de la motivation que des émotions.
- La passion permet à l’individu d’expérimenter des hauts niveaux d’énergie, d’effort et de persistance pendant, et parfois même après la réalisation de l’activité.
- Elle fait partie de l’identité de la personne.
Le modèle dualiste de la passion
Comme évoqué en début d’article, il existe différents types de passions aux effets divers. Vallerand et ses équipes, à l’origine du regain d’intérêt scientifique pour les passions, ont ainsi développé un modèle dualiste1,2. Cette approche distingue les passions harmonieuses des passions obsessives. Et c’est plus particulièrement la manière dont une passion est intégrée à l’identité de l’individu qui permet de la qualifier4. Enfin, chaque type de passion a des conséquences distinctes sur la vie de l’individu.
Les passions harmonieuses
Ce premier type de passion est le plus constructif. Dans ce cas, même si on a un fort désir de s’engager dans l’activité, on reste libre et autonome. On s’adonne à sa passion volontairement, sans se sentir contraint1. Ce n’est pas elle qui nous contrôle, on est capable de s’autoréguler et de prendre du recul4. Une passion harmonieuse n’écrase et n’envahit pas le reste de la vie d’un individu. Dans ce cas, on aime l’activité pour elle-même, pas pour ses bénéfices secondaires. C’est tout cela qui lui permet d’occuper une place importante mais équilibrée au quotidien.
Le fait que la passion soit “en harmonie” avec le reste de notre vie génère des effets positifs, à la fois pendant l’activité et après celle-ci. En résumé, une passion harmonieuse possède les caractéristiques suivantes5 :
- Un puissant désir de faire l’activité que l’on aime, mais celle-ci reste sous notre contrôle.
- On peut choisir de faire ou non l’activité (on peut s’adapter, on reste flexible).
- Elle est en harmonie avec les autres activités et aspects de la personne.
- Elle mène à des émotions positives, à une persistance flexible, et au développement complet de soi.
Les passions obsessives
Ce deuxième type de passion n’a en revanche pas la même histoire : elle se construit en partie sous la pression. Cette contrainte intrapersonnelle (on se sent “obligé de” ) ou interpersonnelle (on nous “contraint à” ) va aboutir à une intégration différente de la passion à l’identité de la personne. L’activité liée impliquera l’égo et la reconnaissance sociale et peut prendre une place démesurée dans la vie de l’individu1.
Une passion obsessive est difficile à inhiber, à contrôler. Elle peut complètement envahir la vie de l’individu et avoir des conséquences négatives sur les relations et d’autres domaines de vie. C’est la passion qui nous contrôle, et non l’inverse. En résumé, une passion obsessive possède les caractéristiques suivantes5 :
- Un puissant désir de faire l’activité que l’on aime, qui finit par nous contrôler.
- On est impuissant face à l’envie de s’adonner à cette passion, et on perd grandement en capacité d’adaptation.
- Des conflits avec d’autres activités et d’autres aspects de la personne émergent.
- Tout cela conduit à des conséquences émotionnelles négatives, à une persistance rigide et à un développement personnel incomplet.
Les effets des passions
Cette première présentation nous permet de bien comprendre que la notion de passion recouvre un spectre très large. Il n’y a donc pas de valeur intrinsèque aux passions. Elles peuvent être constructives, être une véritable source d’épanouissement personnel, ou au contraire enfermer l’individu dans des comportements plutôt destructeurs.
Lorsqu’on s’intéresse de manière globale à la littérature scientifique, on constate que les passions ont des effets variables sur un certain nombre de paramètres psychosociaux5 :
[ezcol_1third]- Cognition
- Émotions
- Bien-être psychologique
- Santé physique
- Performances
- Créativité
- Relations romantiques
- Relations entre groupes d’individus
- Société
Petite précision d’importance, toutes les passions poussent à développer une pratique délibérée qui permet d’être plus efficace et performant dans le domaine concerné. Toutefois, un risque de contre-performance persiste dans le cas des passions obsessives.
Les passions harmonieuses et leurs effets positifs
Vous l’aurez compris, les passions harmonieuses sont plus intéressantes que les passions obsessives. Elles ont en effet tendance à alimenter la motivation et à être une source de bien-être3. De plus, ce type de passion permet de prendre du recul et de mieux réguler les émotions4. C’est notamment via les émotions positives (générées pendant et après l’activité1) et la plus grande flexibilité qu’elles permettent que les passions harmonieuses seraient source de bien-être2,6. En clair, avoir une passion harmonieuse signifie qu’on prend du plaisir tout en trouvant du sens à ce que l’on fait4. Avoir une passion de cet ordre augmente la satisfaction dans la vie et au travail, tout en étant source de vitalité7. Cela présente par ailleurs l’avantage de protéger de l’anxiété, de la dépression et du burnout7.
Les passions harmonieuses sont aussi plus susceptibles de provoquer le flux1 et favorisent la créativité2. Elles ne créent pas de conflits interpersonnels et permettent même de développer des relations de qualité. Enfin, quand on se trouve dans ce cas de figure, il est toujours possible de cesser l’activité quand on n’en tire plus de positif.
Les passions obsessives et leurs effets négatifs
De leur côté, les passions obsessives vont plutôt générer des émotions négatives1. En suscitant une persistance rigide de l’activité, elles ne contribuent pas à une vie équilibrée et heureuse3. Elles sont au contraire un prédicteur de l’anxiété et de la dépression7. Et même quand les passions obsessives aboutissent à de meilleures performances (ce qui n’est pas systématique), cela a toujours un coût en termes de bien-être6. Les relations finissent également par pâtir des passions obsessives3. La satisfaction au sein du couple et l’appréciation de la vie sexuelle sont ainsi directement touchées par ce type de passion7.
Bien évidemment, tomber dans l’obsession peut faire prendre de véritables risques du point de vue de la santé1,2. Chez les personnes qui ont de sérieux problèmes d’addiction aux jeux, on retrouve d’ailleurs des niveaux de passions obsessives bien plus élevés que dans la population générale1. Le risque de tomber dans l’addiction est réel ici5. En termes de bonheur, de vitalité et de satisfaction dans la vie, ce passions-là sont donc une mauvaise nouvelle2.
Évaluez vos passions
Après ces quelques paragraphes, vous vous demandez peut-être de quel côté se situent vos passions. Ou même si certaines de vos activités peuvent être considérées comme telles. C’est pourquoi je vous propose de répondre au questionnaire ci-dessous, développé par Vallerand et ses collègues1. Celui-ci a été testé à de nombreuses reprises8, dans différentes langues et contextes3.
La version francophone du test9 vous permettra de savoir si une activité que vous chérissez constitue une véritable passion, mais aussi s’il s’agit d’une passion harmonieuse ou obsessive. Sachez toutefois que les passions sont dynamiques. Aucune d’entre elles ne relève jamais à 100% d’une catégorie5.
Conclusions
Avoir une ou plusieurs passions, c’est ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. Les passions font partie de nous, nous définissent. Mais attention, comme dans beaucoup d’autres domaines, le tableau n’est pas blanc ou noir. Une passion peut nous apporter beaucoup de positif comme elle peut nous pousser à des comportements destructeurs. Celui qui souhaite mener une vie équilibrée doit se prémunir des passions trop envahissantes qui pourraient le mener à se couper des autres et de ses responsabilités. En clair, pour avoir une passion harmonieuse, il faut prendre l’activité au sérieux sans se prendre au sérieux, tout en incluant d’autres activités plus légères dans son quotidien.
Et si d’aventure vous n’aviez pas ou plus de passions actuellement, il est toujours temps d’apprendre et de découvrir de nouvelles choses. On ne naît pas cuisinier, pianiste, polyglotte ou dessinateur, on le devient. Avant d’être passionné et compétent, on est novice et maladroit. Dépasser ses a priori mène parfois à de véritables révélations !
Références
Voir les références
- Vallerand, R. J., Blanchard, C., Mageau, G. A., Koestner, R., Ratelle, C., Léonard, M., Gagné, M., & Marsolais, J. (2003). Les passions de l’âme : On obsessive and harmonious passion. Journal of Personality and Social Psychology, 85(4), 756‑767.
- Vallerand, R. J., Chichekian, T., & Paquette, V. (2021). Passion in Education- Theory, Research, and Applications. In G. A. D. Liem & D. M. McInerney (Éds.), Promoting Motivation and Learning in Contexts (p. 115‑141). Information Age Publishing.
- Marsh, H. W., Vallerand, R. J., Lafrenière, M.-A. K., Parker, P., Morin, A. J. S., Carbonneau, N., Jowett, S., Bureau, J. S., Fernet, C., Guay, F., Salah Abduljabbar, A., & Paquet, Y. (2013). Passion : Does one scale fit all? Construct validity of two-factor passion scale and psychometric invariance over different activities and languages. Psychological Assessment, 25(3), 796‑809.
- St-Louis, A. C., Rapaport, M., Chénard Poirier, L., Vallerand, R. J., & Dandeneau, S. (2021). On Emotion Regulation Strategies and Well-Being : The Role of Passion. Journal of Happiness Studies, 22(4), 1791‑1818.
- Vallerand, R. (2021, juin 2). Le rôle de la passion dans le fonctionnement optimal. 3e Congrès Français et francophone de Psychologie Positive.
- Vallerand, R. J. (2015). The psychology of passion : A dualistic model. Oxford University Press.
- Vallerand, R. J. (2008). On the psychology of passion : In search of what makes people’s lives most worth living. Canadian Psychology/Psychologie Canadienne, 49(1), 1‑13.
- Vallerand, R. J. (2010). On Passion for Life Activities. In Advances in Experimental Social Psychology (Vol. 42, p. 97‑193). Elsevier.
- Bouffard, L. (2017). Vallerand, R. J. (2015). Psychology of Passion : A dualistic model. New York, NY : Oxford University Press. Revue québécoise de psychologie, 38(3), 217.
Merci d’être passé(e) sur le site et d’avoir pris le temps de lire cet article ! J’espère que vous l’avez apprécié.
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