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S’entraîner intelligemment pour apprendre plus vite

Flèches blanche sur du bois

Quelle est la meilleure manière d’acquérir de nouvelles compétences ? Faut-il s’entraîner pendant des heures en répétant la même chose ? On entend en effet souvent que pour acquérir des connaissances ou des compétences il faut répéter, répéter, et encore répéter. Certaines recherches suggèrent d’ailleurs que pratiquer une activité pendant 10 000 heures suffirait à faire d’un novice un expert dans quelque domaine que ce soit.

Tout le monde peut constater que les caractéristiques et compétences des experts les distinguent des individus tout-venants. Leurs performances sont qualitativement différentes de celles de personnes non expertes. Cela n’est néanmoins pas dû à un talent inné. Sauf dans de rares cas évidents de différences génétiques (comme la taille), c’est l’effort délibéré sur une période longue qui explique les différences de performances1. Et même un potentiel génétique intéressant nécessitera un travail régulier pour être complètement exploité.

C’est donc bien la quantité de travail qui semble primer sur un quelconque talent. Mais la recherche montre que la qualité de la pratique est aussi importante que la quantité, voire qu’elle peut grandement réduire le temps nécessaire pour devenir un expert dans un domaine. Est-ce qu’il faut s’entraîner 10 000 heures pour devenir un expert dans un domaine ? Pas si sûr…

 

La consolidation de la mémoire

Les choses, vous l’aurez compris, sont évidemment plus complexes qu’une simple accumulation d’heures de travail. On peut par exemple progresser bien plus vite dans n’importe quel domaine en introduisant des variations dans sa pratique. Dans une étude récente2, des chercheurs ont pu montrer l’effet de simples modifications de l’entraînement sur l’accélération des progrès dans l’acquisition de compétences motrices. Cette accélération repose sur le principe de reconsolidation de la mémoire.

La reconsolidation mnésique

La reconsolidation consiste, après une première pratique, à réactiver ses souvenirs et à les modifier grâce à une pratique légèrement différente. Ainsi, on réorganise et on renforce ses compétences de manière bien plus efficace.

L’étude de Wymbs et al. sur la reconsolidation2

Dans l’étude qui nous intéresse ici, les participants ont été séparés en trois groupes :

“What we found is if you practice a slightly modified version of a task you want to master, you actually learn more and faster than if you just keep practicing the exact same thing multiple times in a row”

“Ce que nous avons constaté, c’est qu’en pratiquant une version légèrement modifiée d’une tâche que l’on veut maîtriser, on apprend en réalité plus vite que si l’on pratique toujours exactement de la même manière plusieurs fois d’affilée”.

(déclaration d’un des chercheurs, Pablo Celnik)

  • Le premier groupe (groupe contrôle) devait effectuer une unique session d’entraînement pour une tâche motrice pendant 45 minutes.
  • Le deuxième groupe effectuait la même session d’entraînement que le premier groupe. Cependant, 6 heures plus tard, il devait refaire cette session de 45 minutes.
  • Le troisième groupe effectuait la même première session que les autres, puis une autre session 6 heures plus tard. Mais dans ce cas, la tâche motrice était légèrement modifiée lors de la deuxième session (la sensibilité de l’appareil était réglée différemment). Ceci nécessitait une adaptation rapide et active des participants.

Le lendemain, les trois groupes étaient testés sur la première session d’entraînement. Même si cela semble contrintuitif, les résultats montrent que le troisième groupe réussit deux fois mieux que le second, alors même que la modification de la tâche lors de la deuxième session rendait les choses plus difficiles. Quant au groupe contrôle (qui n’avait eu le droit qu’à une session d’entraînement), ses performances étaient de 25% inférieures à celle du second groupe.

Ce qu’il faut retenir des travaux sur la reconsolidation

Le secret de la réussite repose donc à la fois sur le fait de proposer un entraînement varié et de laisser une période de plusieurs heures entre les sessions pour que la mémoire ait le temps de se “construire” au niveau neuronal. Les modifications de la tâche vont ainsi restructurer la mémoire et renforcer les connexions neuronales, bien plus que si on propose simplement la même tâche plusieurs fois. Mais attention, la modification de la tâche doit rester subtile pour que l’on puisse s’appuyer sur les compétences développées lors des précédentes sessions d’entraînement !

 

Une pratique délibérée

Organiser sa pratique de manière intelligente en intégrant des variations régulières est donc une façon de s’entraîner intelligemment. Cela permet d’accélérer l’acquisition de compétences grâce à la reconsolidation mnésique. C’est un exemple de ce que l’on appelle une pratique délibérée. On peut en donner la définition suivante :

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Les jeux vidéos, avec leur difficulté progressive et leurs changements subtils de paramètres au fur et à mesure de la progression, sont susceptibles de provoquer la reconsolidation de la mémoire chez les joueurs. Le secteur des “jeux sérieux” ou “serious games” est d’ailleurs en pleine expansion depuis quelques années.

Pratique délibérée : Activité hautement structurée pratiquée avec un but spécifique d’amélioration des performances.

Ce type de pratique est différente du simple travail régulier, du jeu ou de la répétition d’une tâche. Le but premier est ici d’améliorer ses performances et compétences dans un domaine particulier. La pratique est donc motivée par l’obtention de résultats futurs, avant même que la pratique ne devienne appréciable pour elle-même. On peut néanmoins également chercher à organiser la pratique pour qu’elle soit intrinsèquement motivante, même si cela n’est pas toujours possible.

 

Les critères d’une pratique délibérée

La reconsolidation de la mémoire n’est cependant pas le seul levier à mobiliser pour construire une pratique délibérée complète. En effet, d’autres éléments doivent être précisés au préalable, comme le contenu de chaque pratique, la fréquence des sessions, etc.

Pour qu’une pratique délibérée fonctionne, il faut ainsi respecter plusieurs critères :

  • Être motivé et prêt à faire les efforts pour atteindre l’objectif d’amélioration des performances.
  • La conception des séances d’entraînement doit prendre en compte les connaissances et compétences déjà en place et s’appuyer sur celles-ci.
  • Il faut disposer d’un feedback immédiat et informatif sur la performance réalisée à chaque fois que l’on s’entraîne.
  • On doit répéter des tâches similaires (mais pas pour autant identiques) de manière régulière, mais sans excès de zèle.
  • Il est impératif de faire des pauses régulières pour favoriser la reconsolidation de la mémoire et préserver la motivation.
  • Le sommeil est indispensable au développement de nouvelles compétences. Un sommeil insuffisant (qualitativement ou quantitativement) peut amoindrir fortement voire annuler les effets liés aux précédents points.

Il faut donc organiser sa pratique intelligemment pour progresser le plus rapidement possible, grâce à une certaine régularité, une variation subtile et contrôlée, des temps de repos, et un feedback immédiat qui permet d’évaluer sa progression. Cela peut bien entendu nécessiter un temps de planification et de calibration conséquent dans un premier temps, mais celui-ci sera vite rentabilisé.

La pratique délibérée en 7 étapes

Voyons comment procéder pour mettre en place une pratique délibérée pour l’activité de votre choix :

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Pour devenir un expert, il est nécessaire de travailler intelligemment pour que les compétences se développent et prennent forme de manière durable.
  1. Fixez-vous un objectif global.
  2. Découpez cet objectif en sous-objectifs axés sur les compétences à acquérir.
  3. Déterminez la manière dont vous allez mesurer votre progression pour chaque sous-objectif.
  4. Planifiez vos séances de pratique pour chaque sous-objectif. Utilisez le principe de reconsolidation pour vous guider.
  5. Pratiquez.
  6. Évaluez vos progrès régulièrement. Identifiez ce qui marche le mieux et ajustez votre plan (durée des séances, fréquence, type de pratique, etc.).
  7. Faites le point par rapport à votre objectif global.

Aux étapes 6 et 7, vous pouvez revenir aux étapes 1 et 2 si des ajustements sont nécessaires. Voyez ce plan comme un cycle, et non comme quelque chose de linéaire !

 

Quelques exemples de pratiques délibérées

Sport

Dans le sport, on a déjà l’habitude d’introduire des pauses régulières. Cela est tout simplement dû à la fatigue musculaire qui s’impose à nous, contrairement à la fatigue mentale qui peut plus facilement passer inaperçue lorsqu’on travaille à des mouvements fins (musique) ou à des tâches plus abstraites (résolution de problèmes, apprentissages).

Même si on ne se rend pas immédiatement compte la fatigue mentale, ce n’est pas pour autant que des baisses de concentration et d’efficacité ne surviennent pas. La pratique délibérée permet d’introduire une difficulté progressive et un feedback immédiat. Elle est donc assez logiquement très présente dans le coaching et la préparation sportive. C’est, par exemple, le principe de base de tout programme de musculation. Encore faut-il, là aussi, que le travail soit planifié intelligemment pour proposer une pratique délibérée efficace. L’espacement des séances à lui seul ne sera pas une garantie de progrès rapides.

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Pratiquer son instrument est important pour progresser. On préférera néanmoins des séances plus courtes (1h maximum) que des séances plus longues. Deux séances d’1h dans la journée seront ainsi plus efficaces qu’une seule séance de 2h.

Musique

Quand on cherche à maîtriser un instrument de musique, la pratique délibérée est parfaitement indiquée. Elle permet de planifier son effort et de réaliser des séances fréquentes entrecoupées de pauses longues. On peut ainsi progresser plus vite en travaillant de manière intense tout en laissant le temps à la mémoire de se consolider entre les entraînements. Cela implique bien évidemment de préparer le contenu de chaque session et d’y introduire des variations progressives. Suivre son évolution au fur et à mesure en prenant des notes constitue également une bonne pratique utile lors des bilans.

Discours, présentations, cours

Des tâches moins manuelles, comme les discours et les présentations peuvent aussi être améliorées via une pratique délibérée. Même si l’aspect moteur est moins présent, on peut tout de même bénéficier d’une pratique planifiée et organisée dans le temps pour être plus à l’aise, plus réactif et moins stressé.

Si l’on souhaite développer son efficacité dans ce domaine, de nombreuses séances d’entraînement peuvent être envisagées. On peut ainsi pratiquer seul puis en groupe, utiliser les jeux de rôles, pratiquer avec un contenu imaginaire sans importance ou sur un contenu professionnel réel. Ici aussi, il s’agit de réfléchir à la manière de procéder et de transformer sa pratique petit à petit afin de gagner progressivement en confort et en assurance. Être un expert de l’art oratoire fait appel à de nombreuses compétences qui se travaillent.

 

Conclusion

In fine, la quantité de pratique reste toujours primordiale pour progresser, que ce soit pour les tâches motrices (sport, musique, etc.) ou même pour les tâches plus “abstraites” (résolution de problèmes, apprentissages, mémorisation, etc.). Néanmoins, l’aspect qualitatif –  la pratique dite délibérée, profonde ou intentionnelle – est extrêmement important pour devenir un expert dans un domaine, quel qu’il soit.

Ce que l’on a à tort vulgarisé comme le “principe des 10 000 heures” n’est donc pas suffisant. En effet, il faut également que la pratique de la compétence qu’on cherche à développer soit organisée intelligemment. Il sera ainsi nécessaire d’introduire de subtiles variations au cours du temps, tout comme des temps de pause conséquents afin de donner l’opportunité au cerveau d’assimiler les choses.

Il ne s’agit donc pas de se remettre “bêtement” au travail tous les jours, en répétant plus ou moins la même tâche, mais bien de réfléchir à ce que l’on va faire et à la manière dont on va organiser ce travail pour gagner en efficacité et en compétence le plus rapidement possible. C’est réellement en cela qu’on peut différencier ce type d’approche d’une approche plus classique se réduisant à la répétition des mêmes tâches jour après jour.

Certes, travailler de manière brutale et frontale permet de progresser, mais moins vite. Une telle approche présente en outre le risque de susciter l’overdose ou l’ennui. Tout cela peut alors saper la motivation et mener à l’arrêt de l’activité.

Attention cependant à ne pas confondre la pratique délibérée dans un optique de progression avec une pratique tournée uniquement vers le plaisir. On peut souhaiter pratiquer une activité simplement pour le plaisir, ou joindre l’utile à l’agréable pour une même activité grâce à une approche délibérée.

En bref : entraînez-vous selon un plan précis

Vous l’avez compris : si la quantité de travail reste un critère important, on peut apprendre plus, et plus vite avec un peu d’organisation. En modifiant certains paramètres et en s’entraînant de manière raisonnable (par sessions, avec des temps de pause), on s’assure alors que le temps consacré à l’acquisition d’une compétence est de grande qualité. Pour cela, il est nécessaire de récolter les informations qui permettront d’organiser sa pratique de la meilleure manière avant même de commencer. Il faudra aussi analyser ses progrès régulièrement pour faire évoluer sa pratique au fur et à mesure.

Pour conclure, voici les trois points essentiels à retenir :

  1. Les dispositions “naturelles” ont un impact (limité) dans certains domaines précis, mais c’est surtout la durée de pratique qui fait la différence entre un expert et un non expert.
  2. La manière dont on pratique et dont on organise son entraînement constitue le facteur le plus important pour progresser, plutôt que le seul temps passé à s’entraîner. C’est pourquoi deux experts de même niveau pourront avoir un nombre d’heures de pratique total très différent.
  3. La motivation et la persévérance sont les paramètres qui déterminent les limites d’un individu pour une tâche donnée. Devenir un expert dans quelque domaine que ce soit est un travail de fond, un marathon, et il faut être régulier. Cependant il faut également planifier intelligemment son entraînement pour une tâche afin de ne pas se démotiver et s’épuiser.

Prenez donc le temps de vous organiser avant de vous lancer dans un nouvel apprentissage. Cela vous fera gagner de nombreuses heures !

Références

Voir les références
  1. Ericsson, K. A., Krampe, R. T., & Tesch-Römer, C. (1993). The role of deliberate practice in the acquisition of expert performance. Psychological Review, 100(3), 363-406.
  2. Wymbs, N. F., Bastian, A. J., & Celnik, P. A. (2016). Motor skills are strengthened through reconsolidation. Current Biology, 26, 338-343.
Bastien Wagener
WRITTEN BY

Bastien Wagener

Docteur en psychologie, je suis passionné à la fois par le développement personnel, mais aussi par la recherche sur les capacités et potentialités incroyables de l’être humain !
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JEROME BALBUS
JEROME BALBUS
2 années plus tôt

Bonjour,
Très intéressé par votre sujet concernant la pratique du golf. J’ai lu plusieurs ouvrages qui vont dans votre sens et insistent sur la nécessité d’un entraînement ressemblant autant que possible au “vrai golf” pour progresser plus vite.
On peut vite tomber dans le piège de taper des balles au practice sans but précis, et alors c’est du temps gâché : pas de progression.
Il faut, au contraire, reproduire au max les conditions réelles de jeu : terrain en pente, herbe plus ou moins hautes, obstacles, cible précise, etc.

Aperçu du livre "Plus efficace & plus heureux" avec commentaires

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