Aujourd’hui, il est facile de tromper l’ennui. Il suffit de sortir son smartphone, de faire défiler les actualités de n’importe quel réseau social, et le temps passe rapidement. Pourtant, l’ennui n’est pas forcément quelque chose de négatif. Comme toute émotion, l’ennui a une utilité, sinon l’être humain n’en ferait plus l’expérience depuis longtemps. Des recherches récentes montrent même qu’on sous-estime probablement ses effets positifs, tout en surestimant largement son côté désagréable. Voyons ce que l’ennui nous réserve vraiment.
Comment définir l’ennui ?
L’ennui survient dans les situations où rien de ce qu’on pourrait faire (de manière réaliste) ne nous attire. Assez logiquement, cela nous enferme dans l’inactivité et le mécontentement1. Il s’agit donc d’une émotion qui émerge quand l’individu est incapable de s’engager dans une activité satisfaisante. En général, on attribue cela au contexte, qui est perçu comme inintéressant ou insuffisamment stimulant2. Heureusement, cet état affectif désagréable est transitoire, et ses effets délétères sur la concentration sont généralement circonscrits dans le temps.
Toutefois, contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’ennui ne correspond pas à un maque de motivation. En réalité, il survient alors qu’on souhaiterait justement interagir avec quelque chose ou quelqu’un de plus captivant. Seul problème, cette envie, cette énergie, ne trouve pas de débouchés. Le fait de s’ennuyer vient donc plutôt d’un trop plein de motivation. Autre préconception à évacuer d’emblée : l’ennui ne veut pas forcément dire qu’on a rien à faire. On peut travailler dur et s’ennuyer. Dans ce cas, il y a simplement un manque d’adéquation entre compétence et niveau de défi.
En clair, on peut donc dire que l’ennui correspond :
- À un manque d’engagement, d’intérêt et d’implication
- À un manque de sens
Ainsi, dès que l’on réintroduit un de ces éléments, l’ennui disparaît.
Se détacher de l’ennui
Si vous êtes insatisfaits, insuffisamment stimulés et que vous avez des difficultés à vous concentrer, vous éprouvez donc de l’ennui1. Et si vous effectuez des routines répétitives (ce qui nous arrive à tous), vous ne pourrez pas éviter cette expérience. Heureusement, nous avons tous développé des stratégies pour nous sortir de cette impasse. Les plus courantes sont le fait de gribouiller sur ses notes, de réfléchir à ce qu’on va manger le soir, de se tripoter les ongles, de regarder par la fenêtre ou de s’amuser avec un objet quelconque3.
La problématique n’est donc pas forcément de ressentir de l’ennui, mais de le combler systématiquement grâce au smartphone. Dans ce cas, le “remède” peut devenir pire que le mal et rendre l’ennui de plus en plus insupportable, alors qu’il peut présenter un réel intérêt.
Les effets de l’ennui
De manière assez surprenante, l’ennui est très peu étudié comparativement à la joie, l’angoisse ou la colère. C’est d’autant plus étonnant que sa fréquence est relativement élevée dans la vie quotidienne3. Depuis quelques années, la recherche sur le sujet a tout de même progressé, et on a identifié un certain nombre de conséquences négatives liées à l’ennui1,3 :
- Augmentation des comportements agressifs
- Consommation d’alcool plus élevée
- Stress et insatisfaction au travail
- Faibles performances professionnelles
- Augmentation du nombre d’accidents au travail
- Absentéisme plus élevé
- Prise de risque plus importante
- Baisse des résultats académiques
On observe également une modification de la perception du temps lorsqu’on éprouve de l’ennui. Celui-ci semble s’étirer, voire même s’arrêter dans certains cas.
Prêts à tout pour éviter l’ennui
L’ennui est tellement désagréable qu’on est prêt à se faire du mal pour y échapper. C’est ce que démontre une expérience récente dans le domaine2. Ici, les chercheurs avaient constitué 2 groupes :
- Dans le premier groupe, les participants devaient regarder un documentaire pendant une heure.
- Dans la condition ennuyeuse, les participants devaient regarder un extrait court du même documentaire, en boucle, pendant une heure.
Lors de la première version de l’expérience, les participants avaient accès à du chocolat. Lors de la seconde itération les chercheurs leur permettaient de s’infliger des chocs électriques. Dans la condition monotone et ennuyeuse, les gens mangeaient plus de chocolat et s’infligeaient des chocs plus souvent et avec une plus grande intensité. Si nous avons tous fait l’expérience du grignotage pour tromper l’ennui, le fait de se soumettre à des stimuli désagréables pour échapper à la monotonie est plus surprenant…
Petite particularité, le fait de s’infliger des chocs électriques n’étaient présent que chez les personnes ayant un passif d’automutilation non suicidaire (“non-suicidal self-injury”). Cependant, cela n’était vrai que pendant les 15 première minutes. Au-delà de cette durée, ce comportement se généralisait. Puisque les chocs électriques étaient la seule stimulation disponible dans cette étude, il faut rester prudent sur la portée des conclusions de l’étude. Néanmoins, cela montre bien comment des comportements d’addiction (au jeu, au tabac, etc.) peuvent se développer face à l’ennui.
On surestime “l’horreur” de l’ennui
Malgré ces résultats, l’ennui n’est pas si horrible. En réalité on surestime largement son côté désagréable. Ainsi, quand on demande à des gens qu’on va enfermer 20 minutes dans une pièce sans aucune stimulation d’estimer le caractère désagréable de l’expérience, tout le monde a tendance à juger très négativement l’expérience. Et pourtant, même sans smartphone et sans possibilité de bouger ou de dormir, les gens finissent par être plus intéressés et engagés dans leurs pensées et leur imagination qu’ils ne le prévoyaient4.
D’ailleurs, s’ennuyer ou avoir la possibilité de consulter les actualités sur un ordinateur ne fait aucune différence. L’expérience est à peu près aussi appréciable, alors qu’on estime – à tort – qu’avoir quelque chose à faire va rendre le moment beaucoup plus agréable4. En réalité, attendre à ne rien faire et se perdre dans ses pensées est assez neutre au niveau émotionnel. Ce n’est généralement ni extrêmement positif, ni fondamentalement désagréable. Si on demande aux gens d’évaluer à postériori l’expérience sur une échelle de 0 à 10, les résultats se concentreront autour du point médian4. Passer du temps à risquer l’ennui n’est pas vraiment horrible. Mais on s’attend à ce que le soit.
In fine, la plupart des gens redoutent le fait de se perdre dans ses pensées, de se projeter dans l’avenir, de “rêvasser” , de se remémorer des souvenirs. Or tout cela peut avoir des aspects positifs. Pour cela, il faut toutefois éduquer son esprit à se perdre de manière positive dans ses pensées. Sans entrainement à la médiation ou à d’autres pratiques similaires, il est difficile de maintenir ses pensées sur un sujet constructif. Et dans ce cas, les gens préfèrent faire autre chose. En clair, l’esprit non entraîné n’aime pas rester seul avec lui-même5.
L’ennui peut-il être source de positif ?
Malgré sa mauvaise presse, l’ennui reste un phénomène naturel avec lequel il faut composer3. Tout comme une vie sans émotions négatives n’a pas de sens, une vie sans ennui est impossible. Par ailleurs, il constitue un signal pour changer le statut quo : il faut changer d’activité ou quitter la situation. Certains vont même jusqu’à suggérer que l’ennui est un moteur indispensable pour susciter l’exploration. Sans lui, on serait sans cesse captivé par de petites tâches simples tout en étant insensible aux vraies menaces1. Et cela aurait sans doute mis en péril la survie de l’espèce…
L’ennui, comme la plupart des émotions, a donc une utilité. Selon des travaux récents, ses bénéfices potentiels ne seraient d’ailleurs pas négligeables1 :
- Communiquer ses valeurs, ses intérêts et ses croyances aux autres.
- Signifier un besoin de stimulation à autrui.
- Lutter contre la surcharge d’information.
- Générer des moments “rêverie” , de créativité éveillée.
- Motiver le changement et jouer le rôle de catalyseur pour l’action.
Se perdre dans ses pensées, la réaction spontanée face à l’ennui
Quand on s’ennuie et que les pensées sont la seule échappatoire, notre cerveau bascule sur ce qu’on appelle le “mode par défaut“. Il s’agit d’une activité neuronale où l’on se détache mentalement de son environnement pour réorienter son attention sur des représentations internes de situations, de souvenirs, d’images, de choses non résolues, de scénarios ou de buts futurs.
Si ce mode par défaut peut avoir des effets négatifs, il peut aussi avoir des conséquences positives quand il est bien orienté. Il permet alors de réexaminer un problème ou une situation qui nous préoccupe autant de fois qu’on le souhaite, de manières variées, en incorporant de nouvelles informations et solutions possibles à chaque itération. Cela favorise la résolution créative de problèmes en explorant des idées qui peuvent paraître illogiques1. Cette activité peut ainsi améliorer l’humeur, les apprentissages, la fixation d’objectifs et la performance au travail (surtout pendant une tâche répétitive). Par ailleurs, penser au passé de manière nostalgique plutôt qu’en ruminant peut nous rendre plus heureux et résilients.
Refuser de se perdre dans ses pensées en cas d’ennui peut donc avoir un coût d’opportunité. Éviter l’ennui à tout prix en sortant son smartphone, c’est donc se priver d’un certain nombre de bénéfices4. Bien sûr, pour cela il faut être capable d’orienter ses pensées dans la bonne direction. Si vous voulez en savoir plus sur le sujet, je vous invite à consulter cet article.
L’ennui et la créativité
Au-delà du fait de se perdre dans ses pensées, une des promesses les plus intéressantes liées à l’ennui est celle de la créativité1. Plusieurs expériences ont été menées sur le sujet et montrent que nous serions plus créatifs après une période d’ennui3,6. Cet état favoriserait la pensée divergente ainsi que l’exploration. Certes, cela semble en partie conditionné par la personnalité3, mais n’importe qui peut apprendre à s’appuyer sur l’ennui pour être plus créatif. Il suffit de prendre cette émotion comme un signal reconnaissable afin d’enclencher des comportements adaptés.
Ressentir de l’ennui de temps à autres, se perdre dans ses pensées puis basculer sur une tâche créative serait donc une stratégie assez intéressante à implémenter3,6. Comme l’ennui est inévitable au quotidien, autant en profiter pour trouver de nouvelles idées et résoudre des problèmes !
Comment tirer parti de l’ennui ?
L’ennui survient lorsque les stimulations cérébrales sont insuffisantes1. Si on n’en trouve pas, notre esprit en créé. La rêverie consécutive à l’ennui peut offrir un répit et une échappatoire à la vie quotidienne. C’est aussi une bonne manière de s’éloigner des écrans et d’autres stresseurs. En effet, les mails de travail, réseaux sociaux et applications de rencontre peuvent exercer une pression sur la santé mentale. L’ennui peut dès lors être une amorce pour recharger les batteries1. Il ne faut toutefois pas confondre ennui et relaxation. Pour éprouver réellement de l’ennui et se perdre dans ses pensées, il faut s’engager dans une activité qui nécessite peu ou pas de concentration. Marcher sur un chemin familier, faire des longueurs à la piscine ou être simplement assis avec les yeux fermés sans aucune stimulation sont autant d’exemples de situations ennuyeuses.
En clair, pour tirer parti de l’ennui, il faut se préparer à se perdre dans ses pensées de manière constructive. Voyons 4 pistes pour ce faire.
1. Préparer des tâches qui nécessitent de la créativité
Veillez à avoir systématiquement à disposition des tâches créatives à effectuer ou des problèmes ouverts à résoudre. En effet, après une petite phase d’ennui, vous serez plus créatif et vous pourrez générer plus d’idées. Or, le fait d’identifier des idées originales est lié à la quantité d’idées qu’on est capable de produire.
Je vous invite donc à lister vos problèmes du moment et à avoir cette liste sous la main quand l’ennui émergera. Les quelques minutes passées sur le sujet après un petit temps d’ennui seront sans doute source de solutions nouvelles.
2. S’adonner à la rêverie de manière adaptée
Soyons clairs : il n’y a pas de manière idéale ou unique de se perdre dans ses pensées, mais probablement des épisodes qui ont un impact plus positif que d’autres.
Tout d’abord, c’est le moment de l’épisode qui compte. Se perdre dans ses pensées peut être profitable quand on exécute des tâches banales, automatiques et qui ne nécessitent pas notre attention pleine et entière. Si ce n’est pas le cas, on s’expose à des risques, allant de la perte de productivité à l’accident.
Deuxièmement, le contexte et le contenu de la rêverie comptent pour favoriser une humeur positive ou la créativité. S’autoriser des pauses pour se perdre dans ses pensées n’est donc pas une mauvaise idée et peut permettre de recharger les batteries. L’idée est de se s’adonner à la rêverie quand on n’est pas trop préoccupé par des événements stressants ou des idées négatives. Bien sûr, si vous êtes capables de réorienter facilement vos pensées sur le positif, cela n’est alors plus un problème.
Vous l’aurez compris, comme ce phénomène naturel est utile pour la planification autobiographique, la résolution créative de problèmes et la gestion de l’humeur, il est intéressant de l’intégrer de manière équilibrée à notre quotidien. Et rien de tel que des phases d’ennui spontanées pour s’adonner à la rêverie !
3. Utiliser l’ennui comme un signal
Vous vous ennuyez ? Prenez conscience de ce que cela signifie. Peut-être que ce que vous faites ne vous convient plus ou que votre environnement n’est pas assez stimulant. L’ennui peut être lié à des circonstances isolées ou à la normalité du quotidien. Mais cela peut aussi signifier quelque chose de plus profond et mener à des questions importantes. Surtout quand l’ennui est récurrent et se produit dans des situations toujours similaires.
En clair, ne négligez pas l’ennui et ne le fuyez pas en vous plongeant dans vos notifications. L’ennui se produit pour une raison, et il est important d’identifier cette dernière.
4. Gribouillez pour vous concentrer davantage
Que ce soit en cours ou lors de réunions, nous faisons tous l’expérience de l’ennui. À moins d’être capable d’infléchir la situation, sortez un stylo et mettez vous à gribouiller. Comme indiqué plus haut dans cet article, gribouiller est une stratégie très intelligente pour rester stimulé sans perdre le fil de ce à quoi on est train d’assister. Griffonner quand on s’ennuie améliore même les performances cognitives pour les étudiants1. C’est donc une approche plutôt intéressante en cas d’ennui.
Conclusions
L’ennui n’est certes pas quelque chose de fondamentalement agréable, mais tout moment de notre vie n’a pas à être productif. Fuir l’ennui et s’empêcher de se déconnecter en se perdant dans ses pensées empêche de se ressourcer. Plus on devient accro aux pics de dopamine des stimulations infinies de nos smartphones, plus la tolérance à l’ennui baisse. On ressent alors un besoin de plus en plus impérieux de l’éviter. Et chercher à éviter l’ennui à tout prix en parcourant les réseaux sociaux au moindre temps mort n’est probablement pas une recette pour une vie épanouissante.
Bien sûr, un quotidien envahi par l’ennui est peu souhaitable. Cela a des conséquences délétères évidentes. Et pour peu qu’on ait du mal à se perdre dans ses pensées de manière constructive, les effets négatifs peuvent être nombreux. Toutefois, en développant le self-contrôle, on peut apprendre à tirer parti de l’ennui. Il s’agit d’un signal, et quand on sait l’analyser et l’exploiter, on peut en profiter pour améliorer son humeur, ses performances et sa créativité1.
Aussi, la prochaine fois que vous vous ennuierez, réfléchissez à deux fois avant de sortir votre smartphone de votre poche. C’est peut-être l’occasion d’explorer ce qui vous passe par la tête ou de vous poser des questions pertinentes sur vos objectifs !
Références
Voir les références
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- Nederkoorn, C., Vancleef, L., Wilkenhöner, A., Claes, L., & Havermans, R. C. (2016). Self-inflicted pain out of boredom. Psychiatry Research, 237, 127‑132.
- Park, G., Lim, B.-C., & Oh, H. S. (2019). Why Being Bored Might Not Be a Bad Thing after All. Academy of Management Discoveries, 5(1), 78‑92.
- Hatano, A., Ogulmus, C., Shigemasu, H., & Murayama, K. (2022). Thinking about thinking : People underestimate how enjoyable and engaging just waiting is. Journal of Experimental Psychology: General, 151(12), 3213‑3229.
- Wilson, T. D., Reinhard, D. A., Westgate, E. C., Gilbert, D. T., Ellerbeck, N., Hahn, C., Brown, C. L., & Shaked, A. (2014). Just think : The challenges of the disengaged mind. Science, 345(6192), 75‑77.
- Perone, S., Weybright, E. H., & Anderson, A. J. (2019). Over and over again : Changes in frontal EEG asymmetry across a boring task. Psychophysiology, 56(10).
Merci d’être passé(e) sur le site et d’avoir pris le temps de lire cet article ! J’espère que vous l’avez apprécié.
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