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La pratique réflexive

Homme assis sur du bois coupé qui réfléchit

Pris dans nos projets et nos responsabilités quotidiennes, il nous arrive d’être coincés dans l’action pure et de ne plus prendre de recul. Si passer son temps à faire des plans sans jamais agir est stérile, “charbonner” sans s’octroyer des pauses permettant de prendre de la hauteur est tout aussi problématique. On percute des obstacles qui auraient pu être évités, on emprunte des chemins qui nous éloignent de nos objectifs, bref, on court le risque d’être peu efficace et de s’épuiser. Plutôt que d’opposer action et analyse, voyons comment une pratique réflexive peut enrichir notre quotidien et augmenter notre efficacité.

 

Qu’est-ce qu’une pratique réflexive ?

Si la dénomination de “pratique réflexive” est récente, il s’agit en réalité d’une démarche très ancienne que beaucoup pratiquent de manière naturelle et spontanée.

Elle consiste à problématiser le vécu pour le transformer en situation d’apprentissage potentielle1. Concrètement, la pratique réflexive vise à évaluer les pensées et les actions afin d’apprendre et de s’améliorer.

Il ne s’agit pas pour autant d’atteindre une objectivité absolue, mais plutôt de prendre conscience de nos propres présupposés et attentes vis-à-vis de situations vécues ou à venir. Ainsi, on prend de la distance, on se « décolle » du vécu. La finalité de cette approche est donc de s’appuyer à la fois sur des faits objectifs, mais aussi sur des réactions, émotions et autres données subjectives afin d’analyser leurs relations, leur validité et leur intérêt par rapport aux buts poursuivis. Elle permet de se situer vis-à-vis du présent et du passé, afin d’améliorer les choses à l’avenir.

Réflexivité en action et réflexivité sur l’action

La réflexivité n’est pas pour autant quelque chose qui s’organise nécessairement en séances. Elle peut aussi servir dans l’instant, pour éviter des réactions que l’on regretterait par la suite. On parle alors de réflexivité en action. Néanmoins, ce qu’on appelle « pratique réflexive » fait référence à une démarche plus longue et complète permettant d’élaborer des stratégies et d’effectuer des apprentissages importants. Il s’agit ici de “réflexivité sur l’action” , par opposition à l’autorégulation plus spontanée de la réflexivité en action.

Réflexivité à chaud ou à froid

Outre cette différence d’échelle entre autorégulation en situation et pratique réflexive, il est également possible de distinguer la pratique réflexive à chaud de la pratique réflexive à froid. Il y a une différence très nette entre ces deux temps d’analyse, surtout lorsqu’on traite d’expériences intenses. Le premier est proche de l’action alors que le second se déroule à distance.

La réflexion à chaud est beaucoup plus influencée par l’aspect émotionnel. Cela peut être intéressant si l’objectif est justement d’analyser l’impact de ces émotions sur nos perceptions. À l’inverse, la pratique réflexive à froid sera moins perturbée par cette coloration émotionnelle et fournira une approche plus objective et plus claire.

Situer la pratique réflexive

Enfin, la pratique réflexive n’est pas à confondre avec la confession. En effet, on ne se contente pas de « sortir les choses » ici. Si la confession n’a pas vocation à être remise en question, le questionnement est au contraire l’enjeu central de la pratique réflexive. Par ailleurs, l’adoption d’une multiplicité de points de vue est encouragée dans cette dernière, afin d’avoir une vision plus complète, plus juste des événements. Ceci améliore la compréhension des situations analysées et permet d’élaborer des stratégies plus pertinentes. Il ne faut donc pas hésiter à aller récolter des informations complémentaires pouvant fournir des éclairages variés sur une situation vécue lorsqu’on pratique la réflexivité.

En résumé, une pratique réflexive correspond donc à :

  • Une évaluation d’éléments constituant de notre propre vécu.
  • Une démarche basée sur nos apprentissages passés.
  • Un processus qui s’appuie sur des expériences et des informations pertinentes qui peuvent être de nature positive et/ou négative, et comporter des faits objectifs, preuves, connaissances, sentiments, réactions, etc.
  • Une démarche qui a pour objectif de dégager le sens, la validité et la pertinence de nos actions dans un contexte particulier afin d’améliorer notre fonctionnement à l’avenir.

 

Les bénéfices de la prise de recul

Si la pratique réflexive paraît intéressante de prime abord, on peut se demander en quoi cette démarche est bénéfique, au-delà de la simple augmentation de la compréhension de son propre fonctionnement. La recherche s’est penchée sur la question et montre que ce temps d’analyse joue un rôle positif sur les apprentissages, la compréhension et le sentiment d’efficacité personnelle2. En effet, en prenant du recul, on articule et on codifie de manière délibérée les informations issues de l’expérience pour mieux les intégrer. Mais attention, en ce qui concerne les apprentissages, ces bénéfices ne peuvent survenir que si suffisamment d’expérience a été accumulée. Sans cela, il n’y a rien à identifier, exprimer et codifier.

Magnifier l’expérience par la pratique réflexive

À l’inverse, accumuler de l’expérience sans jamais prendre le temps de l’analyser ne permettra pas d’améliorer ses compétences, une fois les premiers temps passés2. Un chirurgien qui répète les mêmes gestes sans prendre le temps de les évaluer finira par stagner, et il en va de même pour un artisan ou un musicien. En faisant toujours la même chose, on obtient toujours les mêmes résultats. La prise de distance permet de considérer d’autres options et d’éviter les erreurs inutiles, c’est-à-dire celles qui ne contribuent pas aux apprentissages et sont plutôt source de frustration. Pour continuer à progresser et éviter de tomber dans la complaisance quand les automatismes commencent à se mettre en place, il est donc indispensable d’organiser un système de réflexion et d’analyse3. Sans un tel système, on peut rapidement se trouver des excuses, rationaliser, et se mentir. Plutôt que d’insister pour s’exercer toujours plus, il est possible d’apprendre et de progresser plus intelligemment en analysant les heures de travail passées. Et ce qui est vrai pour l’individu l’est aussi pour les équipes4.

Les avantages de prendre régulièrement du recul

Plus globalement, les scientifiques ont pu observer que de nombreux aspects, au-delà des apprentissages, pouvaient bénéficier d’une pratique réflexive régulière. Voici les plus importants d’entre eux5 :

  • L’acceptation de la complexité et de l’incertitude.
  • L’autocritique des valeurs personnelles, limites, présupposés, processus de prise de décision, etc.
  • La critique élaborée de l’environnement de travail.
  • La conscience de la diversité des points de vue.
  • La lutte contre des comportements hiérarchiques inappropriés.
  • La volonté d’explorer les liens de dépendance et d’influence entre sphère professionnelle et sphère personnelle.
  • L’analyse de lacunes en termes de compétences et de connaissances (besoins d’apprentissage).
  • Le développement de compétences d’observation et de communication.
  • Le soulagement du stress lié à des épisodes douloureux ou problématiques.
  • La communication et la transmission de son expérience et de son expertise aux autres.

 

Comment mettre en place une pratique réflexive ?

Représentation graphique du cycle réflexifPassons au concret. Toute pratique réflexive fonctionne selon un cycle qui part de l’expérience pour revenir à l’action6. Ce dernier se retrouve à tous les niveaux, que l’on analyse une action précise sur le moment, ou que l’on fasse le bilan des dix dernières années. Il comporte 5 étapes :

  1. Description des faits
  2. Investigation de l’expérience subjective
  3. Phase d’analyse et d’évaluation
  4. Conclusions et plans pour l’avenir
  5. Retour à l’action

1. Décrire les faits

Pour commencer, il est impératif d’établir un rapport objectif de ce qui s’est passé. Il faut identifier la séquence des événements et les moments clés : le « quoi », le « qui », le « quand », le « où ». On reste ici au niveau purement descriptif et factuel, sans faire d’hypothèses ou d’interprétations.

La question à se poser : Que s’est-il passé ?

2. L’expérience subjective : sentiments et pensées

On s’intéresse ensuite aux réactions émotionnelles et aux pensées. Le subjectif est aussi une source d’information précieuse, tant qu’on ne le confond pas avec les faits. Comme pour la première étape, l’objectif est avant tout d’identifier et d’exprimer ces éléments sans les évaluer. Il faut se contenter de lister les émotions ressenties, sans émettre de jugement sur les situations vécues ou sur les comportements des autres. Il en va de même pour les pensées, qu’on se contente de recenser. On note ce qui nous est passé par la tête sur le moment : hypothèses, déductions et perceptions subjectives de la situation. En fonction de la période sur laquelle porte le bilan, les situations sont plus ou moins nombreuses et l’expérience subjective plus ou moins globale ou ponctuelle.

Les questions à se poser : Qu’ai-je ressenti ? À quoi ai-je pensé à ce moment-là ?

3. Évaluation et analyse

Une fois la matière première extraite de la situation, il est possible d’analyser les informations pour en tirer des apprentissages. Ici on se demande « comment » et « pourquoi » les choses se sont déroulées. L’idée est de générer du sens et d’évaluer ces expériences. On cherche à comprendre ce qui s’est passé, comment les faits, les émotions et les pensées sont liés, ce que nos comportements ont provoqué, ce qu’on a réussi ou raté, ce qui nous paraît important ou anodin, et pourquoi.

Les questions à se poser : Qu’y avait-il de positif et de négatif dans cette ou ces expériences ? Que puis-je tirer comme sens de cette situation ?

On peut s’appuyer tous les éléments en notre possession, au-delà même de l’expérience spécifique analysée, afin de mieux la comprendre. La manière dont d’autres personnes ont vécu cette situation ou des situations analogues peut ainsi venir enrichir notre analyse.

4. Conclusions et plans pour l’avenir

Pour ce dernier temps de la réflexivité avant le retour à l’action, il s’agit de résumer et de structurer les éléments identifiés à l’étape précédente.

Les questions à se poser : Que puis-je conclure sur cette situation et de ma manière de faire spécifique, unique et personnelle ? Qu’aurais-je pu faire différemment ? Que puis-je conclure d’une manière générale de cette expérience et du travail d’analyse que je viens de faire ?

Une fois les principales leçons de l’expérience tirées, il devient alors possible de structurer cet apprentissage afin de pouvoir l’utiliser à l’avenir.

Les questions à se poser : Comment vais-je utiliser les apports de ce bilan pour transformer mon avenir ? Si la situation se présentait à nouveau, que pourrais-je faire autrement ? Certains éléments ont-ils déjà changé ? Quels choix ou opportunités cette nouvelle perspective m’offre-t-elle ? Quel plan d’action vais-je mettre en œuvre à partir de ces apprentissages ?

5. Passage à l’action

Cette dernière étape ne fait pas partie de la pratique réflexive à proprement parler, mais représente plutôt son aboutissement. En effet, toute réflexion, aussi pertinente et intelligente soit-elle, restera totalement stérile si elle n’est pas concrétisée par de nouvelles actions. Ces dernières constitueront le nouveau matériau de futures pratiques réflexives, permettant ainsi de s’inscrire dans une spirale vertueuse et ascendante.

 

Faciliter le processus

Aborder une pratique réflexive sans l’état d’esprit approprié ne permet pas d’en tirer tous les bénéfices. L’attitude qui facilite ce type de démarche repose sur les 3 principes suivants5 :

  • L’incertitude certaine. Quand on s’engage dans une pratique réflexive, on ne sait jamais à l’avance où celle-ci va nous mener, et quelles vont en être les productions. Il est donc nécessaire d’accepter cet état de fait et de mettre de côté ses certitudes.
  • L’amusement sérieux. S’installer dans un cadre permettant à la réflexion de se déployer sans pression tout en étant dans le plaisir de la découverte est propice à l’exploration.
  • Questionnement sans concessions. Tout peut être remis en question. Il ne doit pas y avoir de limite ou de tabou dans les points de vue à adopter ou dans les éléments à investiguer.

Faire le travail dans de bonnes conditions

Éclairage en forme de point d'interrogation

Si le fait d’aborder la pratique réflexive avec la bonne attitude lui permet d’être plus productive, il est tout aussi important d’utiliser cette approche dans de bonnes conditions :

  • Utilisez la réflexion au bon moment, plutôt au calme et à distance, le temps de faire retomber le stress lié aux événements intenses.
  • Équilibrez la réflexion objective, basée sur les faits, les traces et les points de vue divers, et la réflexion subjective, basée sur l’expérience personnelle, les ressentis et les perceptions.
  • Mettez vous en position métacognitive pour comprendre comment et pourquoi vous pensez et envisagez les choses de la manière dont vous le faites.
  • Enrichissez votre réflexion de clarifications extérieures en explorant des points de vue complémentaires, des éclairages, des conseils, etc.
  • Pratiquez cette réflexion dans un lieu approprié, qui permet de faire le travail sereinement.

Quel format utiliser ?

Il n’y a pas vraiment de règles dans ce domaine. L’essentiel est de trouver un support qui vous convienne et qui permette d’avancer et de transcrire facilement votre analyse. On peut ainsi tenir un journal de projet, échanger avec un collègue qui travaille au même objectif ou avec un ami qui en connaît les enjeux, réaliser une mindmap, etc.

Peu importe le support et le format, le tout est d’effectuer votre « rendez-vous » réflexif et de vous y tenir. Si vous tentez de l’éviter ou de le reporter, je vous invite à prendre quelques instants pour identifier ce qui vous pousse au report.

Quand mettre en œuvre la pratique réflexive ?

La pratique réflexive est un outil simple et puissant, qui nécessite surtout de respecter les étapes listées précédemment. Il est alors possible de l’utiliser à différents niveaux :

  1. Au moment de l’action, ou plus largement sur des petites séquences de travail.
  2. Pour des objectifs à court-terme, allant de quelques semaines à quelques mois.
  3. Au sujet des responsabilités quotidiennes (familiales, professionnelles, relationnelles, etc.).
  4. Dans l’analyse de projets à long-terme
  5. Pour des “projets de vie” se déroulant sur un temps très long
  6. Dans la prise de recul globale et transversale

La pratique sera évidemment plus ou moins complexe, longue et exigeante selon le niveau considéré. Dans tout projet, elle est indispensable. Les bilans annuels plus généraux sont aussi les bienvenus puisqu’ils permettent d’effectuer des ajustements qui sont sources d’efficacité et d’épanouissement.

Les domaines particulièrement concernés par la pratique réflexive

Si cette approche vous paraît encore abstraite, sachez que vous en tirerez des bénéfices très concrets dans certains domaines particuliers, au-delà de la démarche globale présentée précédemment :

  • Dans les apprentissages et la mise en place d’une pratique délibérée. Pour développer des compétences de manière efficace, la réflexivité est indispensable.
  • Pour améliorer des relations. S’il y a bien un domaine qui peut se trouver négativement influencé par des interprétations et des ressentis, c’est celui-là. Il ne s’agit pas de dire que vos ressentis sont illégitimes, mais bien de prendre du recul pour vous assurer qu’ils vous permettent d’entretenir des relations saines et constructives.
  • Pour les projets et la pratique professionnelle. Afin de s’épanouir dans son travail et être performant, ces temps de prise de recul sont indispensables. Combien de projets dérivent très loin de leur objectif initial ou n’aboutissent pas à cause d’un manque de hauteur de vue ou d’analyse ?

 

Conclusions

La pratique réflexive peut paraître tout à la fois évidente et complexe. Si nous l’utilisons instinctivement dans certaines situations, il est important de savoir la mettre en œuvre régulièrement pour progresser sereinement vers les objectifs que l’on se fixe.

Développer la réflexivité, via la méthode proposée dans cet article ou à travers d’autres approches est quelque chose d’essentiel. Si vous n’avez pas cette habitude, je vous invite à mettre en œuvre la réflexivité pour un projet, ou pour un domaine qui compte pour vous. Vous devriez en tirer de précieux enseignements. Mais attention, si agir sans réfléchir est source de déconvenues, réfléchir sans jamais passer à l’action reste une démarche stérile. Aussi n’oubliez pas que l’objectif de toute pratique réflexive est de mettre en place des changements concrets !

 

Références

Voir les références
  1. Lawrence-Wilkes, L., & Ashmore, L. (2014). The Reflective Practitioner in Professional Education.
  2. Di Stefano, G., Gino, F., Pisano, G. P., & Staats, B. R. (2014). Learning by Thinking : How Reflection Aids Performance. SSRN Electronic Journal. https://doi.org/10.2139/ssrn.2414478
  3. Clear, J. (2019). Un rien peut tout changer ! : Micro-actions, méga-impact, de minuscules changements vont transformer votre vie. Larousse.
  4. Schippers, M. C., Homan, A. C., & van Knippenberg, D. (2013). To reflect or not to reflect : Prior team performance as a boundary condition of the effects of reflexivity on learning and final team performance: Boundary conditions of team reflexivity. Journal of Organizational Behavior, 34(1), 6‑23. https://doi.org/10.1002/job.1784
  5. Bolton, G., & Delderfield, R. (2018). Reflective practice : Writing and professional development.
  6. Gibbs, G. (1988). Learning by doing : A guide to teaching and learning methods.
Bastien Wagener
WRITTEN BY

Bastien Wagener

Docteur en psychologie, je suis passionné à la fois par le développement personnel, mais aussi par la recherche sur les capacités et potentialités incroyables de l’être humain !
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Amal
Amal
11 mois plus tôt

C est très intéressant, pouvez vous nous clarifier les différents outils à utiliser pour appliquer les étapes de la pratique réflexive?

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