Il nous est tous arrivé d’être certain d’avoir raison, pour apprendre plus tard que nous avions tort. Vous avez aussi probablement déjà été irrité par le point de vue de certaines personnes d’obédience politique différente. Peut-être même que certains débats avec des amis ont parfois tourné au pugilat… Quand nous adoptons ce type de comportements, nous manquons d’humilité intellectuelle.
Bien sûr, la confiance en soi est nécessaire pour vivre une vie équilibrée. Mais lorsqu’elle nous fait largement défaut ou qu’elle se transforme en arrogance, nous tombons dans des excès contreproductifs. Et cela a des conséquences en termes de bien-être et d’efficacité.
Même si l’humilité en tant que vertu est discutée depuis des millénaires par les philosophes, cette dimension n’est étudiée que depuis quelques années par les scientifiques. Et dans un monde où les bulles informationnelles nous enferment dans ce que nous connaissons, aborder l’altérité avec humilité intellectuelle est une source d’épanouissement désormais bien identifiés.
Qu’est-ce que l’humilité intellectuelle (HI) ?
Pour bien comprendre cette dimension, commençons par une définition. En quelques mots, on peut dire que l’humilité intellectuelle est la volonté de reconnaître l’incomplétude de ses propres connaissances ainsi que le fait de valoriser l’intellect des autres1. Cela implique d’accepter ses imperfections2 sans percevoir ces failles comme un risque ou une menace2. Dans ce cas, on s’approprie ses limites pour étendre son savoir et approfondir sa compréhension du monde3.
Les travaux sur le sujet étant à leurs débuts, nous ne disposons pas encore d’un consensus sur l’humilité intellectuelle. Toutes les définitions proposées se rejoignent toutefois sur les points suivants :
- Volonté de reconsidérer ses points de vue
- Propension à éviter la posture défensive quand on est remis en question
- Un besoin limité d’apparaître comme celui qui a raison
Tout ceci implique une dimension métacognitive. On comprend son propre fonctionnement, ses limites et les croyances qui peuvent nous enfermer dans certains raisonnements4.
Les deux types d’humilité intellectuelle
Outre les trois aspects évoqués à l’instant, on distingue aussi deux objets à l’humilité intellectuelle4,5 :
- Elle est soit tourné vers soi, intrapersonnelle. Il s’agit alors de reconnaître ses propres limites et lacunes.
- Soit tournée vers les autres, interpersonnelle, relationnelle ou sociale. Dans ce cas l’HI comprend la capacité à négocier équitablement, à ne pas être sur la défensive face à un désaccord, ainsi qu’une préoccupation faible pour son propre égo dans les débats.
En clair, l’humilité intellectuelle reste un phénomène cognitif. Ceci signifie qu’elle concerne la manière dont les gens pensent et traitent les informations sur eux-mêmes et le monde. C’est une juste évaluation de nos propres limites intellectuelles, et la reconnaissance du caractère potentiellement inexact ou faux de nos croyances2.
Faire preuve d’humilité rend plus tolérant aux idées des autres et favorise ainsi la collaboration et les échanges2. Cela ouvre l’esprit, favorise la curiosité et aide à appréhender l’ambiguïté de manière apaisée6.
Les composantes de l’humilité intellectuelle
L’humilité intellectuelle peut être plus précisément découpée en 4 aspects distincts2 :
- Respect du point de vue des autres
- Absence d’arrogance intellectuelle
- Séparation de l’égo et de l’intellect
- Volonté de réviser des points de vue personnels importants
L’échelle scientifiquement validée qui sert aujourd’hui à mesurer cette dimension évalue toutes ces composantes. Si personne n’est parfait dans tous ces domaines en permanence, c’est seulement quand ces 4 aspects sont suffisamment développés qu’on peut qualifier quelqu’un d’humble.
Il faut toutefois noter que l’HI n’est pas quelque chose de statique, de parfaitement stable. Même si on peut en évaluer un niveau global, celle-ci varie en fonction des dispositions, mais aussi des sujets abordés3. Si une mesure générale de l’HI prédit en partie l’humilité sur n’importe quel sujet, cela n’est pas toujours parfaitement précis. Ce n’est pas parce que vous faites preuve d’humilité intellectuelle la plupart du temps que vous n’en manquerez pas à propos de certains sujets ou croyances spécifiques, en fonction de votre attachement à ces thématiques7.
Les origines de l’humilité intellectuelle
Comme pour n’importe quelle dimension psychologique, on est en droit de se demander à quel point l’humilité intellectuelle est déterminée par notre bagage génétique. Ici, point de différence avec d’autres aspects de notre personnalité : l’état actuel des recherches suppose au moins une part d’hérédité. L’éducation et de l’environnement jouent également un rôle très important3. Nous l’avons vu, l’humilité intellectuelle est liée à la métacognition. Elle dépend donc aussi du développement de cette capacité via l’expérience et l’entraînement.
Pour terminer, il faut noter que la culture pose également sa marque sur cette dimension. Lorsqu’on évolue dans un environnement où les croyances sont fortes et figées, ou au contraire où le débat a une place centrale, l’humilité intellectuelle se développera différemment3.
En clair, il s’agit d’une dimension qu’il est possible de travailler et de faire évoluer. Cela n’est pas toujours simple, mais vu les bénéfices que cela entraîne, c’est loin d’être une démarche vaine.
Les effets positifs de l’humilité intellectuelle
L’humilité intellectuelle présente de nombreux avantages quand elle est développée de manière équilibrée. Faites preuve de trop humilité intellectuelle, et vous tomberez dans le doute et une remise en question excessive. Manquez-en et c’est l’opiniâtreté qui vous guettera.
Je vous propose de commencer par explorer quelques-uns des principaux effets de l’humilité intellectuelle.
Un bénéfices pour les apprentissages
Faire preuve d’humilité ouvre aux nouvelles expériences, et donc aux apprentissages. Une série d’études1 a ainsi pu démontrer que les personnes qui ont une plus grande humilité intellectuelle sont plus intéressées par les défis. C’est-à-dire qu’elles cherchent à acquérir de nouvelles compétences et connaissances plus qu’à montrer qu’elles sont performantes ou qu’elles ont raison. Elles sont aussi plus persévérantes face à l’échec, ce qui permet au final d’atteindre des niveaux d’expertise plus élevés. La motivation se trouve donc également touchée par l’HI.
Ainsi, quand on est humble, on explore les limites dans ses connaissances, on cherche à en apprendre davantage et à interagir avec les personnes et informations en dissonance avec nos connaissances actuelles1,8.
Un meilleur tri des informations et une plus grande curiosité
Avoir l’envie d’apprendre, c’est aussi faire preuve de curiosité. Assez logiquement, ceux qui ont une plus grande humilité sont donc aussi plus curieux d’une manière générale. Cela se traduit par une plus grande tendance au “fact checking” 9 et l’envie d’être mieux informé1. Faire preuve d’humilité intellectuelle permet également de mieux se souvenir des informations auxquelles on a été exposé et de réfléchir davantage à ce qui contredit nos points de vue3.
Une auto-évaluation plus juste
L’humilité intellectuelle s’appuie en grande partie sur la métacognition. En conséquence, les gens à la plus haute HI ont plus conscience d’avoir tort. Ils sont moins confiants vis-à-vis de leurs réponses quand celles-ci sont objectivement fausses (avant même de savoir de manière certaine qu’elles le sont)3.
Être humble intellectuellement pousse à approfondir et à réévaluer régulièrement les choses. Faire preuve de cette qualité entraîne donc une plus grande flexibilité cognitive et une plus grande capacité à sortir de routines ou d’habitudes de pensée pour s’adapter à de nouvelles situations4.
De meilleurs relations sociales
Bien entendu, un des effets les plus importants de l’humilité intellectuel concerne les interactions sociales. Tout d’abord, sachez qui ceux qui ont une HI plus élevée sont mieux jugés par autrui après seulement 30 minutes d’interaction3. Ils sont aussi pardonnés plus facilement3. En clair, les personnes à l’HI plus haute sont considérées comme plus ouvertes, chaleureuses, amicales et généreuses5.
On observe par ailleurs un lien entre l’HI et les qualités prosociales comme l’empathie, la gratitude et l’altruisme. Lorsqu’on est humble, on est plus soucieux du bien-être des autres et on valorise moins le fait d’avoir du pouvoir10.
Avoir plus d’humilité intellectuelle permet donc de créer plus facilement des liens avec des gens différents5, même si leurs croyances religieuses et convictions politiques diffèrent grandement des nôtres4,6,11.
In fine, l’humilité intellectuelle est donc un excellent moyen de développer un certain nombre de qualités prosociales et de faciliter nos interactions au quotidien.
Les conséquences d’une humilité intellectuelle déséquilibrée
À l’inverse, vous l’aurez compris, manquer grandement d’humilité intellectuelle n’est pas une bonne nouvelle du point de vue du développement personnel ou des relations sociales. Une faible humilité est ainsi associée à l’étroitesse d’esprit et au dogmatisme4. On a alors tendance à amoindrir les capacités intellectuelles et les qualités morales de nos opposants politiques, ce qui permet de rejeter plus facilement leurs arguments11.
Manquer de cette compétence génère un plus grand besoin de “clôture cognitive”. C’est-à-dire qu’on est peu à l’aise avec l’incertitude et l’ambiguïté3. Un état qui n’invite pas à la remise en question, aux apprentissages et à la découverte. Et cela peut in fine avoir de fortes conséquences négatives sur le bien-être et l’épanouissement personnel.
À l’inverse, les personnes excessivement humbles sont très influençables et versatiles, et manquent de confiance. Au quotidien, cela peut tout autant poser problème qu’un manque criant d’humilité.
3 pistes pour développer l’humilité intellectuelle
Même si certains sujets vous bloquent, sachez qu’il n’est jamais trop tard pour développer son humilité intellectuelle. Étant donné tous les bénéfices que cela entraîne, il serait dommage de s’en priver. Voici 3 pistes pour progresser dans ce domaine.
1. Explorer différents points de vue
Favoriser l’humilité intellectuelle, c’est chercher à apprendre, à découvrir de nouvelles choses. Et cela passe bien sûr par le dialogue avec des personnes différentes de nous. C’est pour cela que les voyages permettent de stimuler cette dimension et de la développer. Découvrir d’autres manières de vivre, de penser, de comprendre le monde sont autant d’occasions de booster l’humilité intellectuelle.
Mais si vous n’avez pas le budget pour les voyages, sachez que la lecture est aussi une très bonne manière de se mettre à la place de personnages différents de nous. S’exposer à l’altérité par ce biais est une excellente manière de développer l’HI. Pour découvrir tous les bénéfices de la lecture, je vous invite à lire cet article et à écouter cet épisode du podcast.
2. Apprendre tout au long de la vie
Si l’humilité intellectuelle favorise les apprentissages, le fait de poursuivre ces derniers tout au long de la vie peut aussi la favoriser. Apprendre implique de se remettre en question, d’élargir ses horizons et de modifier sa vision du monde. Aussi, n’hésitez pas à entretenir votre désir d’apprendre. Il n’est jamais trop tard pour développer de nouvelles compétences et connaissances, surtout que les ressources pour ce faire n’ont jamais été aussi nombreuses qu’aujourd’hui.
3. Pratiquer la réflexivité / métacognition
Pour développer son humilité intellectuelle, travailler sa métacognition reste un élément central3. Cela peut passer par des approches très globales comme la méditation, ou par un auto-questionnement spécifique sur un sujet donné. Vous pourrez trouver des pistes pour développer votre métacognition dans cet article et cet épisode du podcast.
Même si on ne cherche pas à devenir un professionnel du débat ou de la rhétorique, apprendre à penser contre soi-même est aussi très important. Non pas pour s’auto-dénigrer, mais pour prendre du recul et éviter de succomber trop souvent aux biais cognitifs. La pratique réflexive est une approche pertinente pour faire ce travail.
Conclusions
Nous nous sommes tous déjà sentis mis en cause personnellement lors d’un débat sur un sujet qui nous tenait à cœur. Parfois, c’est simplement pour ne pas perdre la face que nous campons sur nos positions, même face à une accumulation de preuves irréfutables. Nous en avons tous fait l’expérience. L’humilité intellectuelle n’est donc pas un exercice facile en toutes circonstances ou acquis une fois pour toutes. C’est un travail régulier d’ouverture, de curiosité et de lucidité sur nous-mêmes.
Chercher à être plus humble consiste donc à viser un équilibre parfois précaire entre un doute excessif et un excès de confiance démesuré. La plupart d’entre nous tombe toutefois plus souvent dans une trop grande fermeture d’esprit que l’inverse. Et sur les réseaux sociaux, où nous sommes de moins en moins exposés à l’altérité, le manque cruel d’humilité intellectuelle aboutit souvent à des débats de posture sur des sujets sans véritables enjeux.
Aujourd’hui plus que jamais, nous gagnerions donc tous à faire preuve d’un peu plus d’humilité. Surtout que nous n’avons jamais eu accès à une telle diversité de points de vue et de connaissances !
Un petit résumé en vidéo
Pour ceux qui comprennent l’anglais, je vous propose de regarder acette courte vidéo qui résume bien ce qu’est et ce qu’apporte l’humilité intellectuelle :
Vidéo en anglais sous-titrée en anglais
Références
Voir les références
- Porter, T., Schumann, K., Selmeczy, D., & Trzesniewski, K. (2020). Intellectual humility predicts mastery behaviors when learning. Learning and Individual Differences, 80, 101888.
- Krumrei-Mancuso, E. J., & Rouse, S. V. (2016). The Development and Validation of the Comprehensive Intellectual Humility Scale. Journal of Personality Assessment, 98(2), 209‑221.
- Leary, M. R. (2018). The Psychology of Intellectual Humility. John Templeton Foundation.
- Bowes, S. M., Blanchard, M. C., Costello, T. H., Abramowitz, A. I., & Lilienfeld, S. O. (2020). Intellectual humility and between-party animus : Implications for affective polarization in two community samples. Journal of Research in Personality, 88, 103992.
- Meagher, B. R., Leman, J. C., Heidenga, C. A., Ringquist, M. R., & Rowatt, W. C. (2021). Intellectual humility in conversation : Distinct behavioral indicators of self and peer ratings. The Journal of Positive Psychology, 16(3), 417‑429.
- Leary, M. R., Diebels, K. J., Davisson, E. K., Jongman-Sereno, K. P., Isherwood, J. C., Raimi, K. T., Deffler, S. A., & Hoyle, R. H. (2017). Cognitive and Interpersonal Features of Intellectual Humility. Personality and Social Psychology Bulletin, 43(6), 793‑813.
- Hoyle, R. H., Davisson, E. K., Diebels, K. J., & Leary, M. R. (2016). Holding specific views with humility : Conceptualization and measurement of specific intellectual humility. Personality and Individual Differences, 97, 165‑172.
- Porter, T., & Schumann, K. (2018). Intellectual humility and openness to the opposing view. Self and Identity, 17(2), 139‑162.
- Koetke, J., Schumann, K., & Porter, T. (2022). Intellectual Humility Predicts Scrutiny of COVID-19 Misinformation. Social Psychological and Personality Science, 13(1), 277‑284.
- Krumrei-Mancuso, E. J. (2017). Intellectual humility and prosocial values : Direct and mediated effects. The Journal of Positive Psychology, 12(1), 13‑28.
- Stanley, M. L., Sinclair, A. H., & Seli, P. (2020). Intellectual humility and perceptions of political opponents. Journal of Personality, 88(6), 1196‑1216.
Merci pour cet très intéressant sur l’humilité intellectuelle.
Merci beaucoup Joseline !
Merci d’être passé(e) sur le site et d’avoir pris le temps de lire cet article ! J’espère que vous l’avez apprécié.
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